Éditions Julliard
Il existe plusieurs façons d’écrire un roman de science-fiction. L’une d’entre-elles consiste à faire évoluer les techniques existantes et à imaginer ce qu’elles seront quelques années ou quelques siècles plus tard. Dans cette catégorie, on peut ranger le roman de Jules Vernes « De la Terre à la Lune », l’auteur exprimant sa foi dans les progrès de l’artillerie pour atteindre notre satellite. Une autre consiste à faire œuvre de fiction pure, l’auteur n’étant limité ni par les limites technologiques, et encore moins par la réalité de ses écrits.
« Le roman de Kanashima », écrit par Pierre Boulle, à qui on doit de merveilleux récits (La planète des singes, le pont de la rivière Kwaï, E=MC2, et tant d’autres encore) est un roman de science-fiction très atypique, puisqu’il est basé en partie sur des faits réels, auxquels il rajoute son imagination.
Le début se passe à Peenemünde, pendant la seconde guerre mondiale. Le héros est un certain Von Schwartz, savant amoureux fou des fusées, qui fait penser immédiatement à un certain Von Braun. Le vrai directeur du centre de lancement, le Général Bromberger, n’aurait aucun mal à se reconnaitre à travers le personnage du Général Bergen. Pour l’histoire du roman, le personnage de Von Schwartz est assez éloigné du véritable Von Braun, puisqu’il est décrit comme un savant Tournesol dans sa tour d’ivoire, ne pensant même pas aux conséquences meurtrières de ses chères fusées. Par contre, le roman, dans un court passage, décrit le sort des déportés qui sabotaient leur travail. Après la guerre, La confrontation Russo-américaine est très bien rendue, et les lancements de satellites respectent la réalité historique. Mais l’histoire ayant été écrite en 1964, cette réalité devait tôt ou tard s’effacer et laisser la place aux rêveries de l’auteur. Ainsi, l’idée du rendez-vous lunaire s’exprime pendant le congrès astronautique mondial à l’occasion d’un dîner entre savants russes, américains, français, anglais et japonais. Et c’est la déléguée russe qui souffle l’idée au Dr. Von Schwartz ! La genèse du programme lunaire et l’opposition de nombreux savants aux dépenses induites par la conquête lunaire font aussi partie des paragraphes ou la réalité rejoint la fiction.
Si l’auteur se trompe de peu sur la date du premier alunissage (1970), c’est par contre un savant japonais qui foule le premier le sol lunaire. Et d’une étrange façon ! Empêtré dans des problèmes de fiabilité de fusées, ne pouvant pas lancer la masse nécessaire pour aller sur la Lune et revenir, et aiguillonné par l’avance des travaux américains et russes, prêts à envoyer leurs cosmonautes vers l’astre des nuits, les japonais, pour damer le pion à leurs rivaux, font atterrir leur compatriote dans un vaisseau prévu pour un aller simple, sans retour. Dans ce cas précis, la masse à satelliser est considérablement réduite, et les problèmes techniques énormément simplifiés. Le savant japonais, qui se nomme Dr. Kanashima, responsable du programme spatial de son pays, sauve ainsi son honneur d’arriver le premier sur la Lune, fut ce au prix de sa vie.
Un tel scénario aurait-il pu se produire ? Si cela peut paraître choquant à nos yeux d’occidentaux de sacrifier la vie d’un astronaute, il faut nous rappeler que le sacrifice de sa vie, comme le suicide d’ailleurs, n’a pas la même valeur sociale et religieuse dans chaque pays. Au début de la conquête lunaire, les fusées n’étant pas assez puissantes, des chercheurs avaient proposé que les astronautes soient envoyés sur notre satellite et leur retour envisagé dès que possible, en leur expédiant un véhicule une fois arrivés là-bas. En quelque sorte, un saut sans filet, qui aurait demandé aux conquérants lunaires de faire preuve d’esprit de sacrifice.
« Le jardin de Kanashima », tout en étant une œuvre de fiction, laisse flotter un parfum de réalité assez troublant qui fait dire au lecteur, une fois le livre refermé : « cela aurait pu se passer ainsi ».
Lunarjojo
Lunarjojo
Ed. Livre de Poche 1974
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